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Du nouveau pour 2009 : Lire-écouter-voir devient Samarra !

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Ce nouveau blog s'appelle Samarra et a démarré depuis quelques jours. Nous allons continuer à y publier des articles sur les sujets et les supports (BD, manga, musique, films, livres, peinture,...) qui ont fait le quotidien de Lire-écouter-voir en 2008.

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jeudi 13 mars 2008

"A bientôt j’espère" raconte la grève de Rhodiaceta en 1967


Ce petit film militant a été tourné en décembre 1967. Il évoque une grève qui a marqué les esprits à Besançon et en France. Celle-ci se caractérisa par une longue occupation d’usine, près d’un an avant les grèves de mai 68. Le film tourné après la grève par Chris Marker est diffusé en février 1968 à la télévision française. Il est intitulé « A bientôt j’espère », promesse lancée par un gréviste aux patrons, interprété a posteriori comme un défi prémonitoire.

Le film

Il est tourné après la longue grève de février-mars 1967, durant une nouvelle poussée de mécontentements en décembre 1967. Chris Marker (de son vrai nom Christian François Villeneuve Bouche) http://fr.wikipedia.org/wiki/Chris_Marker né en 1921 est un cinéaste engagé ; ses films sont assez peu connus du grand public mais beaucoup plus des sociologues. Son engagement est encore plus marqué quand il fonde le groupe Medvedkine qui regroupe des réalisateurs, des techniciens et des ouvriers de Besançon ou de Sochaux pour tourner des films sur les ouvriers et leur engagement.

Dans « A bientôt j’espère », il souhaite faire découvrir ces ouvriers grévistes, dans leur travail, dans leur engagement syndical et dans leurs aspirations les plus profondes. Le film débute dans un Besançon enneigé, à la sortie de la Rhodiaceta, un syndicaliste harangue les ouvriers qui sortent de l’usine. Ensuite, le réalisateur donne la parole aux ex-grévistes qui racontent leur expérience bien particulière de l’occupation d’usine pendant un mois. Pour eux, il s’agissait bien sûr d’une expérience humaine mais également culturelle. L’occupation de l’usine fut l’occasion pour beaucoup de vivre ensemble et de partager. Les syndicats et les associations de la région permirent aux occupants de leur faire voir des films, des pièces de théâtre, des livres. Bref, l’expérience de la grève fut l’éducation pour ces hommes et femmes de leur identité de leur condition. Les témoignages se succède, un ouvrier d’origine paysanne explique qu’il découvrit durant cette grève les communistes, un autre est fasciné par le talent oratoire de quelques syndicalistes. Après l’évocation de cette grève, le film explore les conditions de travail très particulières de cette filature. L’ouvrier explique ces gestes, explique sa lassitude face au taylorisme et face aux horaires de nuit.

L’interview se déroule désormais dans la cuisine d’un ouvrier de 38 ans qui fait beaucoup plus que son âge. Cigarette à la bouche, pansements sur les mains, il a vieilli prématurément du fait de sa condition d’ouvrier. Pendant plusieurs minutes, nous partageons le quotidien d’un travailleur de la fin des années 60. Une cuisine assez bien équipée, un ouvrier qui préfère sa mobylette plutôt que de passer le permis de conduire, examen à ses yeux trop difficiles. Avec beaucoup de sensibilité, il évoque ses aspirations, ses illusions et ses désillusions. Au passage, il relate une anecdote qui montre que la télévision est à la botte du pouvoir et qu’elle désinforme.

L’un des syndicalistes concède que cette grève de décembre est un échec, la proximité de Noël a eu raison de la mobilisation. Mais il constate que la plupart des salariés sont de plus en plus solidaires, près à de nouveaux combats. Avec un sourire plein de certitudes, il lance au patron un « A bientôt, j’espère » !!!


La Rhodiaceta et ses ouvriers (1)

L’usine de Rhodiaceta (construite en 1955) est située à Besançon et emploie 3000 ouvriers. Elle est une filiale du groupe Rhône-Poulenc et fabrique des fibres synthétiques, ce qui constitue une industrie de pointe pour l’époque. Mais l’ouverture du marché commun rend l’entreprise plus fragile face à la concurrence européenne. Elle est obligée d’augmenter les cadences, réduire les primes, imposer du chômage technique. Pourtant les salariés de la Rhodia ne sont pas les ouvriers les moins bien payés.

Pourtant, ces ouvriers souffrent de conditions de travail difficiles, ce qui explique leur extrême mobilité. Assez jeunes, ils appartiennent à une génération née dans les années 30, et dont la plupart ont été appelés pour l’Algérie. Ces jeunes, de retour d’Algérie sont embauchés à la Rhodia, très vite, ils militent pour la CGT ou la CFDT mais dans un style plus neuf, plus incisif et plus ambitieux. Ils sont prêts "à ruer dans les brancards". Ces jeunes syndicalistes, plutôt surdiplômés déploient d'ailleurs une énergie étonnante dans la distribution de tracts et des appels d’ordre en tout genre.

Ces syndicalistes doublent leur lutte habituelle d’une action culturelle innovante en ouvrant une bibliothèque, en présentant des spectacles qui doivent parvenir à élever davantage encore l’ouvrier.

Quels liens existent-ils entre la Rhodia et mai 68 ? Ces jeunes ouvriers qui ont occupé l’usine en mars 1967 ont certes l’ambition de changer leur condition d’ouvrier mais sans doute un peu plus. Ces travailleurs qui ont connu la guerre d’Algérie ont un désir profond de changements et ont accumulé de la colère et de la révolte. Les auteurs de l’article (1) insistent cependant pour reconnaître que les grèves de la Rhodia ont leur logique propre et qu’elles doivent s’inscrire dans le contexte économique et social des années 60, marqué par la croissance et le plein emploi mais souvent ponctué de conflits sociaux finalement assez durs. L’usine Rhodiaceta de Besançon sera occupée du 17 mai au 8 juin 1968. Les ouvriers obtiendront des hausses de salaire et des conditions de travail un peu meilleures.

L’usine ferme en 1982 et est devenue aujourd’hui une friche industrielle un peu gênante.

http://www.lexpress.fr/info/region/dossier/doubs/dossier.asp?ida=465776

(1) Lire l’article de HATZFELD Nicolas LOMBA cédric, « La grève de Rhodiaceta en 1967 » in Mai-Juin 68 (ss dir) de DAMAMME D., GOBILLE B., MATONTI F. et PUDAL B., Editions de l’Atelier, Paris, 2008, pp 103-113.

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