Le 6 décembre 1969 a lieu le festival d'Altamont (dans la grande banlieue de San Francisco), ce doit être l'équivalent de Woodstock pour la côte ouest. Les Rolling Stones constituent la tête d'affiche du festival. Après une tournée américaine réussie, les Stones entendent remercier leur public en lui offrant un concert gratuit.
Pour les précéder sur scène, ils convoquent Santana, Crosby Still Nash and Young, Flying burrito brothers (de Graham Parsons), Grateful Dead et Jefferson Airplane.
Le lieu retenu pour le spectacle est un circuit automobile, l'Altamont Speedway, en bordure d'autoroute. 300 000 personnes s'y pressent. Très vite, l'événement tourne au désastre en raison d'une préparation bâclée. La sécurité de l'événement est confiée aux Hell's Angels du cru. A plusieurs reprises, le Grateful Dead les charge de la sécurité de leurs concerts, sans qu'ils n'aient à s'en plaindre. Pourtant, les Angels souffrent d'une réputation sulfureuse, souvent justifiée. Violents, buveurs et intolérants, ils attaquent une marche de pacifistes organisée à Oakland quelques semaines plus tôt.
Les Stones confient donc la sécurité aux Hell's angels et les payent en bières (le budget s'élève à 500 dollars)!!
Jagger, apeuré, observe une situation qui lui échappe totalement.
Rapidement ivres, les Angels perturbent les sets du Jefferson, semant la terreur dans le public. Munis de queues de billards, ils frappent indistinctement tous ceux qui passent à leur portée. Devant la tournure des événements, le Grateful Dead refuse de jouer. Jagger, dépassé par les événements, tergiverse, mais décide finalement de maintenir le concert des Stones, craignant d'attiser la fureur des Angels en cas d'annulation. A trois heure du matin, le groupe entre en scène. Le concert est filmé, ce qui permet de se faire une idée de la montée des violences. A certains moments Jagger s'interrompt, il semble terrorisé, mais à chaque fois il décide de poursuivre le concert. Alors que les Stones interprètent Under my thumb, un jeune noir de 18 ans, Meredith Hunter, est poignardé devant la scène, roué de coups, avant que son corps ne soit dissimulé sous la scène.
Un suspect, Angel Alan Pasaro, est identifié grâce aux rushes du documentaire Gimme Shelter. Il est acquitté pour "homicide justifié" (sic). Hunter aurait pointé un revolver sur Jagger au moment où il fut frappé par le Hell's Angels. En fait, les coupables sont nombreux et le motif retenu ne convainc pas grand monde.
En marge de ces événements, ajoutons que les services médicaux croulent sous les demandes de consommateurs de LSD en bad trip. Enfin, comme si cela ne suffisait pas, deux personnes seront écrasées alors qu'elles dormaient et l'on retrouvera le cadavre d'un homme dans un aqueduc jouxtant le lieu du spectacle...
Affiche du documentaire consacré au festival d'Altamont, qui permettra d'identifier l'assassin d'Hunter.
La fête est finie.
Après ce concert cahotique, les autorités locales interdisent de très nombreux festivals. Ce fait divers, auxquels s'ajoutent le massacre perpétré par la Manson family et les overdoses à répétitions qui déciment les communautés hippies, mettent à mal le slogan "make love not war" ou "peace and love".
Mick Jagger sur scène à Altamont.
Quelles sont les manifestations du déclin de cette contre-culture?
- les idéaux libertaires sont étouffés dans l'oeuf par un regain de conservatisme marqué comme le prouvent les élections de Nixon à la présidence (en 1968) ou la gestion du gouverneur de Californie, Ronald Reagan. Ces personnalités montent en épingle les faits divers isolés pour les transformer en faits de société. Les violences des Angels sont ainsi attribuées au mouvement hippie en général. Ces débordements inacceptables, mais isolés, justifient une répression massive et indiscriminée.
Dès mai 1969, Reagan se lance dans le "nettoyage" du People's park de Berkeley. Le 7 avril 1970, il va plus loin en affirmant:"Si pour en finir il faut un bain de sang, qu'il en soit ainsi. Plus de compromis." Durant deux semaines, la garde nationale s'emploie à débarrasser Berkeley de ses hippies. Pire, le recours à la manière forte que Reagan appelle de ses voeux entraîne des drames. Ainsi, le 4 mai 1970, 4 étudiants sont tués par la garde nationale sur le campus de l’université de Kent (Ohio), alors qu’ils manifestaient contre l’envoi de soldats dans le sud-est asiatique.
Brian Jones et Hendrix à Monterey en 1967.
- Les ravages de la drogue frappent très durement des personnalités essentielles de cette contre culture, en particulier les musiciens. Brian Jones, membre originel des Stones est retrouvé mort dans sa piscine en 1969; Joplin et Hendrix, qui brûlaient tous deux la vie par les deux bouts, décèdent des suites d’overdoses en 1970, à trois semaines d'intervalle, puis c'est le tour d'Al Wilson du Canned Heat, de Jim Morrisson, le chanteur des Doors en 1971, de Graham Parsons en 1973... D'autres y laissent de nombreux neurones et une partie de leur inspiration à l'instar de Sly Stone.
- L'individualisme reprend vite ses droits sur l'idéal communautaire des hippies. Beaucoup de jeunes révoltés se font rattraper ou récupérer par un système qu'ils abhorraient et deviennent parfois de redoutable businessmen, oublieux de leurs amours de jeunesse. La raison et les conventions reprennent leur droit. L'heure n'est plus au psychédélisme.
- Les expérimentations spirituelles chères à de nombreuses communautés hippies se transforment souvent en sectes coupées du monde extérieur (Charles Manson instrumentalise quelques individus qui lui obéissent au doigt et à l'oeil).
Sympathy for the Devil in Altamont
Toutefois, ne nous y trompons pas. Les débordements et violences attribuées à cette jeunesse contestataire ne constituent que des exceptions, rapidement montées en épingle par les hommes politiques les plus conservateurs. Et si le doux Summer of love de 1967 semble bien loin, l’héritage culturel laissé par cette scène foisonnante, reste, lui, bien vivant.
Sources:
- Yves Delmas et Charles Gancel:"Protest song. La chanson protestataire dans l'Amérique des sixties", Textuel, 2005.
- Jacques Barsamian et François Jouffa:"L'encyclopédie du rock américain", Michel Lafon, 1996.
- Jean-Yves Reuzeau:"Janis Joplin", folio biographies, 2007.
Liens:
- un site anglais revient sur le festival d'Altamont.
- Ecoutez l'émission de France Inter "2000 ans d'histoire" consacrée aux protests songs avec Charles Gancel, auteur du très bel ouvrage mentionné ci-dessus.
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