Pas facile de parler de l'éclatement violent de la Yougoslavie... Comment expliquer en effet que des voisins qui parlent la même langue et ont toujours vécu côte à côte, puissent, apparemment subitement, se vouer une haine que rien n'apaise, pas même le souvenir du passé.
Joe Sacco est reporter. Né à Malte en 1960, il est un véritable "citoyen du monde" ayant vécu en Australie, aux Etats-Unis (Portland dans l'Oregon et en Californie), à Berlin. A partir des années 1990, il parcourt le monde comme reporter, mais ces reportages ne sont pas classiques.
D'une part, il adopte une forme originale, celle de la BD en noir et blanc, d'autre part, il est un des personnages des histoires qu'il raconte. Rassurez-vous cependant, il se donne tout sauf le beau rôle (son autoportrait ci-contre en témoigne...). Il réalise deux albums sur la Palestine juste avant les accords d'Oslo (publiés en France en 1996, je vous en parle prochainement).
Il a vécu à Goražde la fin de la guerre en Bosnie, pendant l'année 1995. La ville est alors une "zone de sûreté" de l'ONU car elle est à majorité musulmane mais entourée de territoires majoritairement serbes. Elle est donc, avec Srebrenica et Žepa, l'une des enclaves attaquée par les Serbes en Bosnie orientale. Des réfugiés des villages isolées et des autres enclaves tombées (Srbrenica de sinistre mémoire "malgré" les casques bleus en juillet 1995...) affluent à Goražde. La ville est quasiment coupée du monde, sinon par des itinéraires périlleux et temporaires. Elle est régulièrement attaquée et bombardée par les forces serbes.
Joe Sacco vit donc au milieu de ses populations en guerre. Il ne vise pas l'objectivité, mais il veut comprendre sans a priori. A l'occasion de ses rencontres avec les habitants, il dresse une galerie de portraits saisissants montrant comment chacun vit la guerre. Il reconstitue également, par touches, les étapes qui ont conduit à l'affrontement entre voisins. Evidemment, les "tchetniks" Serbes n'ont pas le beau rôle, mais Sacco n'hésite pas à parler de toutes les exactions commises, y compris par les forces bosniaques.
Dans l'album The Fixer, il revient d'ailleurs à Sarajevo pour développer un autre aspect de la guerre, les milices paramilitaires mises en place par le président bosniaque Izetbegović . On y voit des anciens criminels reconvertis dans la lutte patriotique mener la guerre à leur manière, peu respectueuse des conventions de Genève. Dans cet opus, Joe Sacco suit un type de personnage mieux connu de l'opinion depuis la guerre en Irak et l'enlèvement de certains d'entre eux avec les journalistes qu'ils accompagnaient : le fixer. Le fixer est à la fois traducteur, guide et homme à tout faire pour les journalistes. Celui auquel s'attache Sacco est serbe mais il a combattu avec ces fameuses milices bosniaques. Après la guerre, il tente de se réinsérer, difficilement, dans une société complètement déstructurée par la guerre.
C'est donc une oeuvre originale, passionnante et profondément humaine que nous propose Joe Sacco.
Les BD de Joe Sacco sur la Yougoslavie :
- Soba : une histoire de Bosnie, Rackham, Montreuil, 2000
- Gorazde : la guerre en Bosnie orientale, 1993-1995 (2 tomes), Rackham, Montreuil, 2004
- The fixer : une histoire de Sarajevo, Rackham, Montreuil, 2005
- Derniers jours de guerre : Bosnie 1995-1996, Rackham, Montreuil, 2006
Extraits
Liens
- La biographie de Joe Sacco sur Clair de bulle
- Ses oeuvres en anglais et de nombreux entretiens accordés à la presse (in english)
- Le compte-rendu de Sarajevo-Tango d'Hermann sur Lire-écouter-voir
- Les articles parlant de la Yougoslavie et des Balkans sur mon blog
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