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Du nouveau pour 2009 : Lire-écouter-voir devient Samarra !

Après un an de bons et loyaux services, Lire-écouter-voir fait peau neuve. Nous allons désormais continuer ce qui a été entrepris sur un blog partenaire du site Mondomix consacré à toutes les musiques du monde.

Ce nouveau blog s'appelle Samarra et a démarré depuis quelques jours. Nous allons continuer à y publier des articles sur les sujets et les supports (BD, manga, musique, films, livres, peinture,...) qui ont fait le quotidien de Lire-écouter-voir en 2008.

Rendez-vous tout de suite sur Samarra !

samedi 29 novembre 2008

La musique comme outil de propagande dans la Guinée de Sékou Touré... suite.



* Le Bembeya Jazz.

Cette formation originaire d'une petite ville du sud-est, mélange avec bonheur jazz et highlife. La musique du Bembeya, synthèse parfaite des styles afro-cubain et mandingue, se veut aussi un puzzle de toutes les traditions guinéennes. Certains de ses membres sont de véritables prodiges, à l'instar du guitariste prodige Sekou Diabaté ou du chanteur-soliste Aboubacar Demba Camara. Ce dernier devient une très grande star après la sortie de l'album "Regards sur le passé" (1967), hommage musical à l'ancêtre de Sékou Touré, Samory Touré. Le groupe, payé par l'Etat, vante les mérites du parti unique ("Chemin du PDG", "Vive le PDG", le Parti Démocratique de Guinée) ou les institutions ("Armée guinéenne"). Le groupe connaît un coup très dur avec la mort de Demba dans un accident de voiture, en 1973. Or, son successeur, le jeune Sekouba "Bambino" Diabaté, est choisi et imposé au groupe par Sékou Touré en personne.


Armée guinéenne est une ode aux militaires guinéens enregistrée par le Bembeya Jazz en 1968, alors que la Guinée célèbre ses dix ans d'indépendance. Ce morceau à succès est emblématique de la musique guinéenne des années 1960, savant mélange de tradition folklorique et d'instruments modernes.

Au fil des années 1960, le Bembeya est devenu la matrice d'autres grands big bands ouest-africains (le Rail Band, les Ambassadeurs, Orchestra Baoba).


* Le label Syliphone.

Avec Touré au pouvoir, le pays se dote aussi d'un studio ultra-moderne, financé par une aide de la République fédérale d'Allemagne. . Le parti présidentiel gère directement le studio ultra-moderne (le studio de la Révolution). Dans ce dispositif élaboré, le label Syliphone fait figure d’instrument complémentaire. Cette structure d’Etat publie sur des 33 tours et des 45 tours les enregistrements effectués par les meilleurs groupes dans le studio de la radio nationale, laquelle peut ainsi alimenter ses émissions puisque la musique occidentale est interdite d’antenne.


Miriam Makeba lors d'un concert à Conakry, en 1973.

On le voit donc, l'Etat contrôle toute la production musicale guinéenne, de la formation des orchestres en passant par la diffusion des airs sur la radio nationale.

* Miriam Makeba, ambassadrice de la Guinée.

La posture du dirigeant guinéen face à l'ancienne puissance coloniale lui assure un grand prestige dans la diaspora noire, notamment aux Etats-Unis. Ainsi, la grande chanteuse sud-africaine, Miriam Makeba, s'installe dans la Guinée de Sékou Touré avec son compagnon, Stokely Carmichael, le secrétaire des Black Panthers et théoricien du Black Power. Elle devient la caution intellectuelle de Touré dont elle assure la propagande sur la scène internationale: elle devint la représentante de la Guinée aux Nations Unies. Elle y poursuit sa carrière et enregistre des disques avec des instrumentistes guinéens. Elle est ainsi accompagnée par des membre de Balla et ses baladins. Elle enregistre de nombreux titres en espagnol, arabe, français et malinké.

* Une dictature impitoyable.

- Un régime de terreur.

Très vite, Touré instaure un régime très dur. Il rejoint le camp socialiste et ne cesse de fustiger "l'impérialisme, le colonialisme et le néo-colonialisme". La France a démantelé le pays lors de son départ et refuse toute forme de coopération avec l'ancienne colonie.
Durant la période Touré, On compte pas moins de 17 tentatives de coups d'Etats. Désormais, le dictateur vit dans la hantise du putsch et sombre dans la paranoïa, qui le conduit à massacrer tous ces rivaux potentiels.
Il n'hésite pas à faire fusiller la quasi-totalité de son gouvernement en 1964. Ainsi, le coup d'Etat manqué d'exilés guinéens du 22 novembre 1970, appuyé par les Portugais, plonge le pays dans la terreur, marquée par des arrestations et exécutions en série. Cette date devient d'ailleurs symbolique. L'Horoya band adopte d'ailleurs le nom de 22 novembre band.



Des centaines de milliers de Guinéens fuient alors le pays. Des milliers d'opposants meurent sous la torture dans les sinistres geôles du camp Boiro.
On estime que le Président Ahmed Sékou Touré s’est rendu coupable de la mort ou de la disparition de quelque 50000 personnes.

- Censure et politique culturelle.

Alors que les présidents Bourguiba de Tunisie, Diori du Niger et Senghor du Sénégal se font d'ardents défenseurs de la Francophonie, Sekou Touré, lui, se veut le champion de l'indépendance immédiate et totale. Aussi, cet amoureux de la langue et de la culture française, affirme que la Francophonie constitue une «nouvelle forme de domination coloniale». La diffusion de musique étrangère est interdite à la radio nationale.


Les principales régions de la Guinée-Conakry.

- Le PDG.
Trois grandes ethnies dominent en Guinée, même si on en compte une trentaine en tout: les Malinkés ou Maninkas (marchands), les Soussos (majoritairement des agriculteurs) et les Peuls (souvent nomades, pasteurs). Touré, d'origine malinké, n'hésite pas à écraser les Peuls et les Soussos, tandis que le PDG, le Parti Démocratique de Guinée, contrôle tout. Une personne sur dix est alors membre de ce parti, présent du plus petit village au sommet de l'Etat.


* L'après Sékou Touré.

En 1984, la mort de Touré, le colonel Lansana Conté s'empare d'un pouvoir qu'il tient toujours d'une main de fer, utilisant à nouveau la violence et la contrainte. Ce dernier rompt avec la politique culturelle de Touré. En 1983, un an avant sa mort, le "dictateur-mélomane"privatise les orchestres nationaux, qui deviennent propriétaires de leurs clubs (club de la paillote, club du jardin de Guinée, club de la minière), de leurs instruments et leurs matériels. Mais assez vite, ces formations, choyés par le dictateur défunt, se délitent, faute de financement et de soutiens officiels. Pire, lors du coup d'Etat de Conté, l'attaque de la radio d'Etat, perçue comme l'organe officiel du régime de Touré, provoque la destruction de nombreuses archives musicales. Le label Silyphone disparaît rapidement

* Quel bilan après 50 ans d'indépendance?

- Une dictature implacable.
Après 26 ans de pouvoir pour Touré et 24 ans pour Conté, le bilan est catastrophique. Nous avons déjà évoqué l'utilisation de la terreur pour gouverner sous le premier dirigeant guinéen. Or, aujourd'hui, la situation ne semble pas beaucoup plus bonne. De fréquents soubresauts secouent l'armée et le gouvernement. L'opposition est muselée, voire emprisonnée.

- Un scandale économique.
La Guinée est un pays extrêmement riche (Touré parlait de "scandale géologique"), avec des réserves importantes d'or, de diamants, 1/3 des réserves mondiales de bauxite (nécessaire pour l'uranium). Sa forêt est exploitée par des transnationales, tandis que ce "château de l'Afrique" n'exploite guère son immense potentiel hydroélectrique.

La corruption du régime contribue aussi à détourner les richesses du pays au profit des fidèles de Conté. Les Guinéens disposent d'un pouvoir d'achat très faible et seul le système D permet au plus grand nombre de vivre. On estime que 70% de l'économie est gérée par le secteur informel (petits ateliers de couture, cireurs de chaussures). Il n'empêche qu'en février 2007, une explosion sociale embrase les quartiers populaires de Conakry. La répression s'accompagne de la mort de manifestants.

* La musique guinéenne aujourd'hui.

Le temps des grands orchestres nationaux est révolu, mais de jeunes Guinéens, on se sont lancés à leur tour. On peut ainsi citer Takana Zion, un jeune reggaeman.





Sources:

- Florent Mazzoleni:"L'épopée de la musique africaine", Hors collection, 2008, pp17-36.

- Florent Mazzoleni: "Le modèle guinéen", in Mondomix n°29, pp20-21.

- La remarquable émission "L'Afrique enchantée" (diffusée sur France Inter tous les dimanches) des lundi 11 et mardi 12 août 2008, consacrées à la Guinée-Conakry.

Liens:

- radio africa, une mine pour explorer cette musique fascinante.

- La musique mandingue sur Afromix.org.

- "Pour la Guinée du "non" à De Gaulle, 50 ans de perdus", sur le blog de M. Hoibian.

- Le site de l'Afrique enchantée. A écouter d'urgence.




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