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Du nouveau pour 2009 : Lire-écouter-voir devient Samarra !

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mardi 18 mars 2008

Mai 68 s’invite à Cannes

L’année 1968 fut plutôt une année faste pour le cinéma : 2001 Odyssée de l'Espace, Théorème, La Nuit des Morts-Vivants, Il était une fois dans l'Ouest, La planète des singes, Rosemary's baby, La mariée était en noir...

Aux Oscars, on récompense « Dans la chaleur de la nuit » de Norman Jewison, où un flic noir incarné par Sidney Poitier, (l’une des premières star afro-américaine) enquête sur un meurtre dans une petite ville raciste du Mississipi. 6 jours avant la cérémonie, Martin Luther King était assassiné. Nous en reparlerons...

Claude Lellouch, Jean-Luc Godard
et François Truffaut
bloquant les projections du festival.

En France, les événements de 68 vont rattraper le petit monde du cinéma et perturber cette belle institution bien huilée qu'est le festival de Cannes. Pour une fois aux avants-postes de la contestation sociale, le petit monde du 7ème art entend bien devenir le porte parole et le fer de lance de la révolution en marche. Si le résultat immédiat ne dépassera pas la simple annulation de la remise des prix du festival, les conséquences à long terme seront l'émergence d'une nouvelle génération de cinéastes et de producteurs qui vont dans la décennie qui suit prendre en main les rênes du cinéma français.


En février éclate une première crise qui préfigure l’état d’excitation d’un cinéma français en plein bouillonnement intellectuel et qui secoue les institutions traditionnelles. C’est l’affaire Langlois, le fondateur de la Cinémathèque.

Henri Langlois, a crée dans les années 30 la cinémathèque, un fond de conservation qui stocke, protège, restaure et projette avec un soin jaloux tout ce qu’il peut collectionner sur le cinéma (films bien sûr mais aussi décors, affiches etc…). Il sauve ainsi de l’oubli ou de la destruction des pans entiers du cinéma mondial et le public de la cinémathèque dont de nombreux jeunes réalisateurs peuvent redécouvrir des films anciens dans une atmosphère cinéphile. Dans les années 60, son coût de fonctionnement est devenu tellement important qu’il ne peut plus continuer que grâce à des subventions. L’état prend ainsi le contrôle de ce qui était au départ une fondation privée.

Mais le ministre de la culture de De Gaulle, André Malraux se brouille avec Langlois qui entend bien rester le maître de son bébé et refuse de se plier aux injonctions ministérielles. En février 68 profitant d’un conseil d’administration il fait évincer Langlois pour le remplacer par un haut fonctionnaire. Mais cela provoque une levée de bouclier dans le monde du cinéma qui manifeste en masse pour soutenir Langlois considéré comme le père spirituel de la cinéphilie. Pour une fois les diverses tendances du cinéma français qui se disputent, entre Vieille Garde et Nouvelle Vague se retrouvent soudées. Un Comité de Défense de la Cinémathèque se constitue, composés entre autres de François Truffaut, de Simone Signoret ou de Jean Renoir. Langlois reçoit le soutien de Charlie Chaplin ou Erich Von Stroheim et de nombreuses compagnies de production américaines qui lui sont reconnaissantes d’avoir sauvé des films qu’elles mêmes croyaient perdues. Des manifestations éclatent devant le Palais de Chaillot (siège à l’époque de la cinémathèque) et sont durement réprimées par la police. A Grenoble dont il est député, Pierre Mendes France, ancien président du conseil et personnalité très respectée lui apporte officiellement son amitié.

Devant cette fronde Malraux recule et en avril réintègre Langlois (mais coupe en rétorsion une partie des subventions). C'est une victoire pour le monde du cinéma sur le pouvoir politique. Mais les esprits de nombreux jeunes réalisateurs notamment issus de la Nouvelle Vague qui entend secouer le système traditionnel du cinéma français ne comptent pas en rester là alors que les premiers troubles éclatent dans les universités parisiennes.

Pour plus de détails sur toute cette affaire, voir cet excellent article de Frédéric Bonnaut dans les Inrocks

Evidemment mai 68 va être le signal de passer la vitesse supérieure dans la contestation. Parce que mai c’est surtout le festival de Cannes. Un festival qui se veut particulièrement ouvert sur le monde et la jeunesse cette année là et que ses organisateurs annoncent comme une grande cuvée... Le "cirque cannois" bat donc son plein, on se presse aux fêtes du producteur de disques Eddie Barclay, les starlettes se dénudent sur la Croisette pour le plus grand plaisir des photographes, le champagne coule à flot sur les yachts. Les échos des grèves parisiennes sont bien lointains puisque la ville de Cannes ne bouge pas.

Ah et puis on passe des films, aussi. L’ouverture avec la ressortie d’ "Autant en Emporte le Vent" est un succès. "Au feu les pompier" de Milos Forman est annoncé grand favori.

Et puis les premiers troubles commencent. Des étudiants interrompent des films dès le 13 mai ou font des sit-in devant le palais des festivals. Incidents mineurs dit-on au départ…

Le scandale éclate véritablement lors de la projection de "Peppermint Frappé" de l’espagnol Carlos Saura. Une bande d’individus monte sur la scène devant l’écran et empêche la projection en s’accrochant aux rideaux de la salle (à cette époque, un peu comme au théâtre, il y avait un rideau qui s’ouvrait devant l’écran avant la projection). Un début de rixe éclate. Parmi les fauteurs de troubles, on reconnaît Jean-Luc Godard, François Truffaut, Claude Berri, Claude Lelouch…

Pendant ce temps, à Paris, L’Institut Des Hautes Etudes Cinématographiques, la principale école de Cinéma se révolte à son tour. Autour de Jacques Rivette, Louis Malle et Marin Karmitz se tiennent les états généraux du cinéma qui veulent abattre le système traditionnel de la distribution des films. Dans l'effervescence révolutionnaire, on évoque la possibilité de créer un système autogéré où l’on se partagerait moyens techniques et de distributions pour pouvoir créer en liberté.

Rapidement à Cannes, c’est donc le blocage, le festival se transforme en une gigantesque assemblée générale où on appelle au soutien avec les mouvements qui se déroulent à Paris. Les discutions sont agitées : faut-il arrêter le festival, projeter des films révolutionnaires, en faire une tribune de libre expression ? les réalisateurs qui ont fuit le totalitarisme d’Europe de l’Est comme Milos Forman ou Roman Polanski sont beaucoup plus circonspect que leurs collègues occidentaux quand ils voient des drapeaux rouges fleurir. Pourtant il apparaît vite que le festival ne pourra plus fonctionner comme avant. Alors Monica Vitti, Louis Malle et Roman Polanski démissionnent du jury tandis qu'Alain Resnais et Carlos Saura décident de retirer leur film de la compétition. Au final, le festival finit par tourner court et la remise des prix est annulée

Paradoxalement, les événements du festival réveillent les cannois eux-mêmes : éboueurs et chauffeurs de bus se mettent en grève. Le Sud de la France prend le relais de la capitale à la fin mai, mais sans arriver à la violence de Paris. De Marseille à Nice toute la Provence sera bloquée pendant le mois de juin

Un excellent reportage de France 3 Provence-Côte d'Azur sur le souvenir de juin 68

Les milieux culturels, cinéma en tête voulurent faire de leur art le porte-parole de la contestation de mai 68. Une fois les barricades dégagées de nombreux cinéastes continuèrent à vouloir porter la révolution dans leurs œuvres. Toute la génération qui va prendre le pouvoir dans les années 70-80 est là : Claude Berri, Marin Karmitz vont créer leur maisons de productions pour financer les films qui veulent voir. Jean-Claude Godard ou Chris Marker vont se lancer dans un cinéma plus social ou idéologique. Comme pour toute la société française l'héritage de mai 68 se fera sur les long terme.

Source: outre les sites précédemment cités. Chroniques du Cinéma (ed. larousse) / "d'Art et de palmes : le festival de Cannes" de Pierre Billard
iconographie partielle : site de la ville de Cannes

2 commentaires:

blottière a dit…

C'est du beau travail Richard. La vidéo vaut, elle aussi, le détour. La réplique de Godard à l'auditoire me fait hurler de rire:
" Je vous parle solidarité avec les étudiants qui se font casser la figure par les CRS et avec les ouvriers, et vous me répondez travellings et gros plans!
Vous êtes des cons!"

E.AUGRIS a dit…

La vidéo vaut effectivement le détour !
Merci pour cet article.