Des livres, des films, des émissions, des musiques, de l'art, des BD, des mangas pour apprendre et comprendre le monde

Du nouveau pour 2009 : Lire-écouter-voir devient Samarra !

Après un an de bons et loyaux services, Lire-écouter-voir fait peau neuve. Nous allons désormais continuer ce qui a été entrepris sur un blog partenaire du site Mondomix consacré à toutes les musiques du monde.

Ce nouveau blog s'appelle Samarra et a démarré depuis quelques jours. Nous allons continuer à y publier des articles sur les sujets et les supports (BD, manga, musique, films, livres, peinture,...) qui ont fait le quotidien de Lire-écouter-voir en 2008.

Rendez-vous tout de suite sur Samarra !

mercredi 5 mars 2008

Nambul, une histoire fictive de la guerre entre la Corée et le Japon

Une guerre entre la Corée et le Japon. C'est le scénario imaginé par Ya Sul Lok et mis en dessin par Lee Yun Se.
Le pétrole se raréfie (jusqu'ici rien de fictif...), attisant les tensions entre les pays asiatiques. En Indonésie, l'archipel des Moluques (Makalu), riche en pétrole, est le lieu d'un affrontement entre le gouvernement et un mouvement indépendantiste soutenu par le Japon. Celui-ci espère en effet obtenir de ce mouvement la concession de l'exploitation du pétrole confiée à des firmes coréennes. Voilà le prétexte. Les employés coréens sont pris en otage, la situation dégénère et aboutit à un conflit impliquant la plupart des nations asiatiques et l'ASEAN contre le Japon.
Pourquoi pas, cela est d'autant plus plausible que se déroule en parallèle une nouvelle guerre dans le Golfe... (le récit n'a été écrit au début des années 1990, alors que l'invasion de l'Irak n'avait pas encore eu lieu).
Mais on ressent un certain malaise à la lecture de ce manhwa. La vision du manhwaga est quelque peu manichéenne. Même les voyous coréens vivant au Japon, et dont nous suivons les aventures, sont dépeints comme des hommes d'honneur victimes de la barbarie nippone. Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Sous couvert d'une dénonciation du nationalisme japonais, vu comme "éternel" et atavique, Yu Sul Lok se livre à une exaltation de la nation coréenne. Le message est grosso modo celui-ci : La Corée est souvent été victime de ses voisins contre lesquels elle doit se défendre, mais elle a aussi connu la grandeur (est évoquée notamment la période des "trois royaumes" du Ier siècle av. J.-C. au VIIème siècle ap.). Il ne tient qu'à elle de la retrouver, d'où le nom de code de l'opération, présentée comme "défensive" : Nambul qui signifie "conquête du Sud". Il s'agit d'une référence au roi Hyojong qui a lancé il y a 350 ans l'opération Bukbul, c'est-à-dire "conquête du Nord". Les auteurs de ce manhwa hissent donc bien haut le Tae Guk Ki, le drapeau coréen (voyez avec l'image ci-contre comment ils réinterprètent une image bien connue de la Guerre d'Asie-Pacifique). Ils vont même jusqu'à faire se réconcilier les deux associations des Coréens du Japon, l'une, le Chongryon, proche de Pyongyang (Corée du Nord communiste) et l'autre, le Mindan de Séoul (Corée du Sud).
Ces Coréens du Japon , une fois la guerre déclenchée, sont discriminés, isolés puis enfermés, un parallèle explicite et sans doute déplacé avec le sort des Juifs d'Europe sous le nazisme. Seuls deux tomes sont traduits en français, mais je crois savoir que dans le tome 3, les Coréennes enfermées vont servir de "femmes de réconfort" c'est-à-dire d'esclaves sexuelles...
On le voit donc, les auteurs renvoient les Japonais à leur barbarie supposée récurrente et inséparable de leur identité. Même si le Japon regarde parfois ses actes passés avec beaucoup d'indulgence, on ne saurait imaginer le Japon démocratique du XXIème siècle devenir semblable au IIIème Reich... S'il faut dénoncer le révisionnisme d'une partie de la société japonaise, il ne faut certainement pas le faire en activant ou réactivant le nationalisme coréen comme le fait Nambul. Pour que vous ne croyiez pas que j'affabule, voici un extrait de la préface écrite par Ya Sul Lok :

"Le sabre des samouraïs n'attache aucune valeur à la vie, ce qui le rend particulièrement terrifiant.

L'épée coréenne sert davantage à se défendre qu'à attaquer. Elle respecte sa vie, prenant en compte celle des autres. Cependant, il faut être prêt à verser du sang pour se défendre. Lorsqu'on se penche sur le passé de la Corée, on peut constater que lors de chaque invasion le sang a coulé. C'est grâce aux sacrifices de nos ancêtres qui se sont fièrement défendus qu'aujourd'hui nous avons pu conserver intacts les frontières de notre pays ainsi que notre fierté et notre identité.

À présent, il est temps pour nous aussi, de nous sacrifier. Il est nécessaire que nous nous défendions afin de préserver nos enfants. Pour qu'ils puissent vivre heureux et en paix...

Il vaut mieux éviter l'averse mais malheureusement c'est une tempête inévitable qui menace de s'abat­tre..."

Les différends actuels entre les deux pays sont surtout d'ordre symboliques (je ne dis pas cela pour les sous-estimer). Il y a, je l'ai évoqué récemment avec vous, la question des "femmes de réconfort" au sujet desquelles les autorités japonaises s'obstinent à nier leur responsabilité. Il y a également des questions territoriales. L'île inhabitée de Tokdo-Takeshima est revendiquée par les deux pays. Elle se trouve en... Tiens, voilà un autre sujet de discorde ! La mer qui sépare les deux pays est appelée Mer du Japon par... les Japonais et Mer de l'Est (Dong Hé) par les Coréens qui se battent pour que cette appellation soit reconnue officiellement par les organismes internationaux (Voyez dans la première carte à gauche que l'île est intégrée à la ZEE japonaise et dans la deuxième, issue d'un atlas coréen, que la mer porte le nom de Mer de l'Est [source : L'Atlas des Atlas de Courrier international]). Rappelons que l'île est occupée depuis 1954 par les Coréens, mais que les Japonais affirment qu'elle est Japonaise depuis 1618. Dans Nambul, les deux décisions qui apparaissent dans l'acte de capitulation concernent d'ailleurs ces questions territoriales...


Pour conclure, on peut dire que le succès du livre en Corée rend sans doute nécessaire la lecture de cet ouvrage pour qui veut comprendre les relations actuelles entre les pays d'Asie orientale. Pour le reste, son approche nationaliste en fait un mauvais manhwa.

Ya Sul Lok et Lee Hyun Se, Nambul, Histoire de la guerre entre la Corée et le Japon, Kami, 2007 (2 tomes parus en français)

L'extrait


Les liens

- Une critique sur BDgest.
- Le dossier sur l'histoire de l'Asie orientale (chronologie, documents, articles, entretien,....) pour ceux qui veulent en savoir plus !

Aucun commentaire: