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Du nouveau pour 2009 : Lire-écouter-voir devient Samarra !

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samedi 13 septembre 2008

Léon Werth: "Déposition, journal 1940-1944".



Observateur impitoyable de son temps, à la fois anticlérical, antistalinien, antimilitariste et anticolonialiste, Léon Werth reste un écrivain injustement méconnu.Son œuvre s'avère pourtant particulièrement riche et variée. On lui doit entre autres deux brûlots antimilitaristes Clavel soldat et Clavel chez les majors, tous deux parus en 1919, mais aussi un récit de voyage, Voyage avec ma pipe, un récit de l'exode intitulé 33 jours, mais aussi de nombreux articles pour des revues de la Belle Epoque comme Gil Blas, Les cahiers d'aujourd'hui, puis pour des journaux de l'entre-deux-guerres comme Marianne, Monde...


Ici, nous nous intéresserons plus particulièrement au journal qu'il écrit au cours du second conflit mondial. Après avoir vécu l'Exode au volant de sa Bugatti (expérience qu'il évoque dans 33 jours), Léon Werth se réfugie en zone-sud, à Saint-Amour, dans le Jura. C'est là aussi qu'il écrit sa Déposition, un témoignage extraordinaire sur les années noires. A la lecture du journal, on est frappé par la lucidité de Werth. Immédiatement anglophile, il n'est pas dupe de la propagande de Vichy qu'il s'emploie à décrypter. Il s'agit ainsi d'un témoignage de premier plan sur Vichy, car l'auteur s'intéresse particulièrement aux évolutions de l'opinion publique et à la réception dans les campagnes de la propagande de l'Etat français.



Il décrit avec talent les multiples arrangements de la population avec l'occupant, les compromissions, lâchetés. Pour autant, il ne joue pas les redresseurs de torts, donnant des leçons de moral.
Pour Jean-Pierre Azéma, qui a établi l’édition du journal de Léon Werth: "Werth, très sensible aux ambivalences, aux fluctuations de l'opinion, nous guérit certainement de la maladie du manichéisme, des oppositions binaires".

Antoine de Saint-Exupéry et Léon Werth. Une amitié très forte unissait les deux hommes. D'ailleurs, le premier dédie son Petit Prince:"A Léon Werth, quand il était petit garçon". (voir extrait en fin d'article).

Déposition sort en 1946, dans la plus grande indifférence. Pourtant, comme le rappelait son ami, l'historien Lucien Febvre:"Je dis simplement que, par son admirable sincérité, (...) par le souci constant d'interprétation juste et fine des réactions paysannes, Déposition est pour l'historien un des témoignages les plus directs et les plus précieux dont il puisse disposer pour recomposer l'évolution des esprits dans un coin de terre française, entre les temps nauséeux de l'armistice stagnant et cette grande année de la Libération (...)."

Laissons la parole à l'auteur au travers de ces quelques extraits:

"le 16 octobre 1940
Les autorités occupantes" ont fait briser à Paris les matrices des disques de Wanda Landowska
(une très grande claveciniste), parce que Wanda Landowska est juive.
C'est un pouvoir fort que celui qui brise l'ébonite et porte un jugement musical fondé sur les chromosomes."

" le 21 octobre 1940
Le journal est plein d'exercices de bonne humeur et d'optimisme. La France va se relever, la France se relève. Cette rhétorique de consigne déconcerte par sa stupidité, j'allais dire par sa goujaterie: on ne danse pas dans la chambre d'un grand malade".

"Le 9 juillet 1941
Je vais à Lons pour y déclarer qu'au terme de la loi du 2 juin 1941, je suis juif. Je me sens humilié, c'est la première fois que la société m'humilie. Je me sens humilié, non pas d'être juif, mais d'être présumé, étant juif, d'une qualité inférieure."

" Le 24 mai 1943
Le lis dans Le Nouvelliste: "Cette année, au concours d'éloquence institué entre les collèges libres ... le sujet proposé était le suivant: "Pourquoi faut-il aimer sa mère?"" Suit une colonne entière de citation du Maréchal. De quoi donner au fils le plus tendre l'envie d'égorger sa mère."

" Le 9 août 1944
Onze heure du soir. J'écoute vaguement la radio. Soudain j'entends: "le pilote français de Saint-Exupéry, qui appartenait à une formation dissidente, a été porté manquant à la suite d'une mission au-dessus de la France." Les événements historiques me sont indifférents. Je vois la chute d'un avion désemparé, je vois un avion qui brûle. Je vois son visage.
Je pense à tant d'heures d'amitié. (...)
Pensées stupides: c'est douter de lui, c'est le trahir que de croire à sa mort. J'espère. Il est tombé blessé. Il est soigné chez des paysans."

" Le 22 août 1944
L'imagination anticipe; ils sont partis [les Allemands]. Et déjà, on sent venir l'oubli. La guerre va se coller à d'autres guerres dans le passé. La guerre n'est plus rien que deux dates, que les enfants réciteront. (...)
Oubliera-t-on aussi l'incroyable dans l'atroce? Oui, comme le reste. Comment faire qu'on ne l'oublie pas? (...)"

Extraits de:
- Léon Werth: Déposition, extraits, Points, 2007, 7euros.

- Léon Werth: Déposition, Viviane Hamy, 1992, 25 euros 80.

Liens:

- "Saint-Exupéry et Léon Werth: histoire d'une amitié" sur Artslivre.com.

- Léon Werth par Christian Lassalle.

- D'autres extraits du journal au format PDF.

- Léon Werth aux éditions Viviane Hamy.

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