- Pourquoi aller voir Valse avec Bachir ?
"Que ressentez-vous envers le massacre de Sabra et Chatila aujourd'hui ?
Toujours la même chose qu'avant : c'est la pire des choses qui puisse arriver à des êtres humains. Ce qui est sûr, c'est que les phalangistes chrétiens sont pleinement responsables du massacre. Les militaires israéliens n'ont rien commandité. En ce qui concerne le gouvernement israélien, lui seul connaît l'étendue de sa véritable responsabilité, lui seul sait s'il avait été mis au courant à l'avance de cette tuerie vengeresse préméditée.
Et la guerre ?J'ai réalisé VALSE AVEC BACHIR du point de vue d'un soldat quelconque, et la conclusion est que la guerre est si incroyablement inutile ! Ça n'a rien à voir avec les films américains. Rien de glamour ou de glorieux. Juste des hommes très jeunes, n'allant nulle part, tirant sur des inconnus, se faisant tirer dessus par des inconnus, qui rentrent chez eux et tentent d'oublier. Parfois ils y arrivent. La plupart du temps, ils n'y arrivent pas.
Quelles réactions attendez-vous de la part du public israélien ?
Comme pour tous les films, je trouve qu'il est très difficile d'anticiper la réaction du public. Une chose est sûre : ce n'est pas un scoop pour les Israéliens que l'invasion de Beyrouth ouest en septembre 1982 était inutile et ne rapportait rien. Une énorme tache noire sur notre Histoire. Je suis même prêt à parier qu'Ariel Sharon, en ce moment dans le coma, aurait donné n'importe quoi pour réécrire l'histoire et éviter cette expédition insensée dont il fut l'initiateur. Concernant donc cet aspect du film, je ne m'attendrais à aucun : « Comment ose-t-il dire que nous ne devrions pas avoir été là ? ...» etc. La façon dont l'armée est présentée dans le film pourrait, en revanche, apparaître plus gênante aux yeux du public israélien. On ne trouve aucune fascination, aucune gloire dans le film ; je dirais que tous les interviewés qui apparaissent sont de parfaits anti-héros, à l'exception d'un : le journaliste Ron Ben-Yishai. Mais une fois encore, ce n'est pas un soldat. On pourrait penser qu'à cet égard, le fait que le film soit dessiné pourrait aider les gens qui sont gênés par la façon dont l'armée, ou la guerre en général, sont présentées. Ils pourraient dire : « Ce ne sont que des dessins animés de toute façon ; Donald Duck était aussi un dessin animé n'est-ce pas ?»" (Extrait d'un entretien donné à l'AFCAE)
- Parce que la musique de Max Richter sonne juste. En même temps qu'elle rythme le film, elle restitue l'univers sonore des jeunes militaires de 1982. On entend ainsi quelques tubes chantés par les appelés comme "Lebanon" ou encore "Beyrouth" qui semble être une reprise de chansons américaines de la Guerre de Corée ("Bomb Bomb Korea").
- Parce que le format du documentaire d'animation est original et n'enlève rien, au contraire, à la force du message. C'est un très beau film, bouleversant.
- Quelle est la situation du Liban en 1982 ?
Après plusieurs incidents avec l'armée libanaise, un accord avait été signé au Caire en 1969 entre celle-ci et l'OLP. Il reconnaissait à l'OLP le droit de mener la lutte armée à partir du Liban. La présence de nombreux palestiniens devient, au début des années 1970, une question qui divise. Ce débat recoupe en grande partie les divisions communautaires. Les partis chrétiens la dénoncent y voyant une perte de souveraineté alors que la plupart des sunnites et les partis progressistes (à commencer par le PSP de Joumblatt) n'y voient qu'une occasion de faire avancer leurs revendications sur la scène politique libanaise. De chaque côté, les milices se forment ou s'arment au nom de la "défense de la souveraineté" pour les phalangistes chrétiens ou pour la "défense de la Révolution palestinienne et de l'arabité du Liban" à gauche.
C'est un incident opposant des phalangistes à des Palestiniens qui déclenche la guerre en avril 1975. Le Liban plonge dans la guerre civile. Beyrouth est un champ de bataille, la ville est coupée en deux. A l'Ouest, les quartiers aux mains des sunnites et des Palestiniens, à l'Est, les quartiers contrôlés par les phalangistes.
En 1976, à la demande des chrétiens, la Syrie intervient contre ses anciens alliés de la gauche et les Palestiniens. Elle n'a jamais renoncé à s'emparer du Liban qu'elle considère comme une province syrienne. Les partis chrétiens et la Syrie n'en deviennent pas moins progressivement adversaires. La droite chrétienne, sous l'impulsion de Bachir Gémayel, se rapproche alors de la droite israélienne .
Voici ce qu'écrit l'éditorialiste du Réveil, journal phalangiste, deux jours avant l'élection de Bachir Gemayel, le 23 août 1982 : "Il faut détruire les camps palestiniens au Liban inlassablement jusqu'à ce que disparaissent pour toujours ces ateliers du crime, ces asiles de criminels et de délinquants de toute provenance, ces pépinières de terroristes"... (Cité par S. Kassir, "Convergences libanaises", Le Monde Diplomatique, mars 1983)
- Qui est Bachir ?
Il est assassiné le 14 septembre avant même d'entrer en fonction. Ces miliciens vont commettre le massacre de Sabra et Chatila quelques jours après. Son frère Amine, plus modéré, est élu Président.
- Que font les Israéliens au Liban?
En juin 1982, Tsahal lance une offensive de grande envergure contre les positions palestiniennes au Liban : "Paix en Gallilée". Cette opération est conduite par le ministre de la Défense, le très populaire Ariel Sharon, héros controversé des guerres israélo-arabes. L'armée israélienne contrôle l'espace aérien et met hors d'état de nuire les missiles syriens dont elle avait demandé le retrait. L'invasion, qui ne doit pas officiellement dépasser le "kilomètre 40", se transforme en siège de Beyrouth-Ouest qui est bombardée et encerclée. L'OLP commence à fuir la ville. Arafat part pour Tunis.
C'est sans doute l'une des premières guerres que l'opinion israélienne ne comprend pas de manière évidente et n'approuve pas de manière massive.
- Que s'est-il passé à Sabra et Chatila ?
Précisons pour terminer que, si l'armée israélienne n'a pas participé directement au massacre de civils palestiniens à Sabra et Chatila, de nombreux civils ont été tués par les militaires israéliens lors des assauts et des bombardements sur Tyr, Saïda et Damour.
- La chronologie détaillée de la guerre civile au Liban (1975-1990).
- La critique de Libé, celle du Monde, celle de Rue89, des éclaircissements historiques chez Télérama. L'article de Zéro de conduite. Le site du film. La page myspace de Max Richter, auteur de la BOF.
- Le rapport de la commission Kahan (in english)
- Notre avis sur deux films récents (Les Citronniers et Désengagement). D'autres messages sur le Moyen Orient.
- Samir Kassir, Histoire de Beyrouth, Fayard, 2003 (un très beau livre par un historien récemment assassiné)
- Charles Enderlin, Paix ou guerres, 2004 (pour comprendre les dessous de l'intervention israélienne)
- François Massoulié, Les conflits du Proche-Orient, Casterman-Giunti, 1994 (une synthèse claire pour une première approche)
- Irit Gal et Ilana Hammerman, De Beyrouth à Jénine. Témoignages de soldats israéliens sur la guerre du Liban, La Fabrique, 2003. Une journaliste et une écrivain israéliennes font parler les vétérans de l'intervention israélienne de 1982.
- Yussef Bazzi, Yasser Arafat m'a regardé et m'a souri, Verticales, 2007. Yussef Bazzi a été enfant-soldat au Liban au début des années 1980. Il raconte cette période de sa vie dans ce magnifique petit livre dont je vous avais parlé. Il est aujourd'hui un poète reconnu dans le monde arabe. Comme le dit son traducteur : «Gardons-nous de juger les hommes. Attendons de voir s’ils deviennent poètes.»
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