Des livres, des films, des émissions, des musiques, de l'art, des BD, des mangas pour apprendre et comprendre le monde

Du nouveau pour 2009 : Lire-écouter-voir devient Samarra !

Après un an de bons et loyaux services, Lire-écouter-voir fait peau neuve. Nous allons désormais continuer ce qui a été entrepris sur un blog partenaire du site Mondomix consacré à toutes les musiques du monde.

Ce nouveau blog s'appelle Samarra et a démarré depuis quelques jours. Nous allons continuer à y publier des articles sur les sujets et les supports (BD, manga, musique, films, livres, peinture,...) qui ont fait le quotidien de Lire-écouter-voir en 2008.

Rendez-vous tout de suite sur Samarra !

mercredi 2 juillet 2008

Valse avec Bachir

  • Pourquoi aller voir Valse avec Bachir ?
- Parce qu'en suivant Ari Folman dans sa quête d'un passé oublié, on entrevoit les traumatismes de la guerre. Il y a un contexte spécifique à cette guerre et nous verrons lequel, mais les soldats que nous suivons pourraient être des Américains en Irak, des Français en Algérie. De jeunes hommes sont plongés dans un univers hostile sans toujours comprendre pourquoi. Ils sont conduits à commettre des actes qu'ils réprouvent et qui les marquent toute leur vie. Ari Folman nous conduit donc admirablement dans l'univers du combattant plongé dans la guerre. Dans le même temps, il montre que les civils sont les premières victimes des guerres modernes. Pour tout cela, il touche donc à l'universalité tout en ne parlant que de lui puisque ce film est autobiographique. La plupart des voix sont celles des témoins eux-mêmes. Quelles sont les objectifs d'Ari Folman :

"Que ressentez-vous envers le massacre de Sabra et Chatila aujourd'hui ?

Toujours la même chose qu'avant : c'est la pire des choses qui puisse arriver à des êtres humains. Ce qui est sûr, c'est que les phalangistes chrétiens sont pleinement responsables du massacre. Les militaires israéliens n'ont rien commandité. En ce qui concerne le gouvernement israélien, lui seul connaît l'étendue de sa véritable responsabilité, lui seul sait s'il avait été mis au courant à l'avance de cette tuerie vengeresse préméditée.

Et la guerre ?

J'ai réalisé VALSE AVEC BACHIR du point de vue d'un soldat quelconque, et la conclusion est que la guerre est si incroyablement inutile ! Ça n'a rien à voir avec les films américains. Rien de glamour ou de glorieux. Juste des hommes très jeunes, n'allant nulle part, tirant sur des inconnus, se faisant tirer dessus par des inconnus, qui rentrent chez eux et tentent d'oublier. Parfois ils y arrivent. La plupart du temps, ils n'y arrivent pas.

Quelles réactions attendez-vous de la part du public israélien ?

Comme pour tous les films, je trouve qu'il est très difficile d'anticiper la réaction du public. Une chose est sûre : ce n'est pas un scoop pour les Israéliens que l'invasion de Beyrouth ouest en septembre 1982 était inutile et ne rapportait rien. Une énorme tache noire sur notre Histoire. Je suis même prêt à parier qu'Ariel Sharon, en ce moment dans le coma, aurait donné n'importe quoi pour réécrire l'histoire et éviter cette expédition insensée dont il fut l'initiateur. Concernant donc cet aspect du film, je ne m'attendrais à aucun : « Comment ose-t-il dire que nous ne devrions pas avoir été là ? ...» etc. La façon dont l'armée est présentée dans le film pourrait, en revanche, apparaître plus gênante aux yeux du public israélien. On ne trouve aucune fascination, aucune gloire dans le film ; je dirais que tous les interviewés qui apparaissent sont de parfaits anti-héros, à l'exception d'un : le journaliste Ron Ben-Yishai. Mais une fois encore, ce n'est pas un soldat. On pourrait penser qu'à cet égard, le fait que le film soit dessiné pourrait aider les gens qui sont gênés par la façon dont l'armée, ou la guerre en général, sont présentées. Ils pourraient dire : « Ce ne sont que des dessins animés de toute façon ; Donald Duck était aussi un dessin animé n'est-ce pas ?»" (Extrait d'un entretien donné à l'AFCAE)


- Parce que la musique de Max Richter sonne juste. En même temps qu'elle rythme le film, elle restitue l'univers sonore des jeunes militaires de 1982. On entend ainsi quelques tubes chantés par les appelés comme "Lebanon" ou encore "Beyrouth" qui semble être une reprise de chansons américaines de la Guerre de Corée ("Bomb Bomb Korea").
- Parce que le format du documentaire d'animation est original et n'enlève rien, au contraire, à la force du message. C'est un très beau film, bouleversant.

  • Quelle est la situation du Liban en 1982 ?
Le fragile équilibre institutionnel du pays, mis en place à partir de 1943, a pour but de permettre à chaque communauté de trouver une juste représentation politique. Mais le système ne permet pas de faire disparaître les frustrations de ceux qui s'en estiment écartés (musulmans sunnites, chiites selon les époques) sans pour autant satisfaire les chrétiens maronites qui en sont les principaux bénéficiaires.
A partir de la défaite arabe de 1967, la géopolitique de la région est considérablement bouleversée et le Liban se trouve au cœur des enjeux régionaux. De nombreux réfugiés palestiniens de 1948 y ont trouvé refuge dans des camps permanents qui ressemblent à des bidonvilles (notamment ceux de Sabra et Chatila au Sud-Ouest de Beyrouth, voir plan ci-dessous). D'autres, en nombre plus réduit, les rejoignent après l'occupation par Israël de la Cisjordanie et de Gaza. En septembre 1970 ("septembre noir"), le roi Hussein de Jordanie se débarrasse violemment des résistants palestiniens et de leurs chefs qui sont un facteur de déstabilisation pour son pays. C'est désormais le Liban qui est le centre de la résistance palestinienne, d'autant plus qu'au cours des années 60, celle-ci a peu à peu conquis son autonomie sur les pays arabes. En 1969, Yasser Arafat devient le chef de l'Organisation de Libération de la Palestine, principale organisation palestinienne. Les attaques de commandos palestiniens, s'ils continuent à se faire également depuis la Jordanie (cf. la "victoire" de Karameh en 1968), se font désormais depuis le Sud-Liban.
Après plusieurs incidents avec l'armée libanaise, un accord avait été signé au Caire en 1969 entre celle-ci et l'OLP. Il reconnaissait à l'OLP le droit de mener la lutte armée à partir du Liban. La présence de nombreux palestiniens devient, au début des années 1970, une question qui divise. Ce débat recoupe en grande partie les divisions communautaires. Les partis chrétiens la dénoncent y voyant une perte de souveraineté alors que la plupart des sunnites et les partis progressistes (à commencer par le PSP de Joumblatt) n'y voient qu'une occasion de faire avancer leurs revendications sur la scène politique libanaise. De chaque côté, les milices se forment ou s'arment au nom de la "défense de la souveraineté" pour les phalangistes chrétiens ou pour la "défense de la Révolution palestinienne et de l'arabité du Liban" à gauche.
C'est un incident opposant des phalangistes à des Palestiniens qui déclenche la guerre en avril 1975. Le Liban plonge dans la guerre civile. Beyrouth est un champ de bataille, la ville est coupée en deux. A l'Ouest, les quartiers aux mains des sunnites et des Palestiniens, à l'Est, les quartiers contrôlés par les phalangistes.
En 1976, à la demande des chrétiens, la Syrie intervient contre ses anciens alliés de la gauche et les Palestiniens. Elle n'a jamais renoncé à s'emparer du Liban qu'elle considère comme une province syrienne. Les partis chrétiens et la Syrie n'en deviennent pas moins progressivement adversaires. La droite chrétienne, sous l'impulsion de Bachir Gémayel, se rapproche alors de la droite israélienne .
Voici ce qu'écrit l'éditorialiste du Réveil, journal phalangiste, deux jours avant l'élection de Bachir Gemayel, le 23 août 1982 : "Il faut détruire les camps palestiniens au Liban inlassablement jusqu'à ce que disparaissent pour toujours ces ateliers du crime, ces asiles de criminels et de délinquants de toute provenance, ces pépinières de terroristes"... (Cité par S. Kassir, "Convergences libanaises", Le Monde Diplomatique, mars 1983)
  • Qui est Bachir ?
Le 23 août 1982, Bachir Gemayel est élu Président de la République libanaise à 34 ans. Il représente la droite chrétienne qui voit dans la présence des Palestiniens une atteinte à la souveraineté nationale. Son père Pierre a fondé dès 1936 le parti des Phalanges (kataeb) qu'il dirige. Il commande également les milices des Forces Libanaises. A partir de 1981, il se rapproche du gouvernement israélien de Menahem Begin qui attend beaucoup de lui. Bachir Gemayel s'efforce alors de s'appuyer sur Israël tout en étant conscient qu'il ne doit pas le faire trop ouvertement pour ne pas ruiner tout crédit auprès des Libanais et du monde arabe.
Il est assassiné le 14 septembre avant même d'entrer en fonction. Ces miliciens vont commettre le massacre de Sabra et Chatila quelques jours après. Son frère Amine, plus modéré, est élu Président.



  • Que font les Israéliens au Liban?

A partir de 1977, le Likoud (droite) est au pouvoir en Israël. Rapidement Mehanem Begin fait la paix avec l'Egypte après la visite spectaculaire de Sadate en 1977. L'évacuation du Sinaï est programmée et se fait progressivement jusqu'en 1982. Mais au Nord, la menace palestinienne et l'intervention de la Syrie dans le conflit libanais poussent le gouvernement à l'intervention. De nombreuses représailles (raids, assassinats au coeur de Beyrouth dès 1973), rarement proportionnées, sont lancées contre le territoire libanais. Dès 1978, l'opération Litani est lancée. Elle a pour but d'élargir la "zone de sécurité" au Sud, contrôlée par une Armée du Sud Liban (ALS) dirigée par un Libanais chrétien.
En juin 1982, Tsahal lance une offensive de grande envergure contre les positions palestiniennes au Liban : "Paix en Gallilée". Cette opération est conduite par le ministre de la Défense, le très populaire Ariel Sharon, héros controversé des guerres israélo-arabes. L'armée israélienne contrôle l'espace aérien et met hors d'état de nuire les missiles syriens dont elle avait demandé le retrait. L'invasion, qui ne doit pas officiellement dépasser le "kilomètre 40", se transforme en siège de Beyrouth-Ouest qui est bombardée et encerclée. L'OLP commence à fuir la ville. Arafat part pour Tunis.
C'est sans doute l'une des premières guerres que l'opinion israélienne ne comprend pas de manière évidente et n'approuve pas de manière massive.

  • Que s'est-il passé à Sabra et Chatila ?
Le soir même de l'attentat qui a coûté la vie à Bachir Gemayel, l'armée israélienne décide d'envahir Beyrouth-Ouest. Il est difficile, encore aujourd'hui, d'établir avec précision l'enchaînement des évènements et, surtout, des responsabilités. Plus d'un millier de civils palestiniens et Libanais des camps de réfugiés de Sabra et Chatila (Beyrouth-Ouest) sont massacrés par des miliciens des Forces Libanaises, du 16 au 18 septembre 1982. Ils ont pu s'y rendre et opérer grâce à la complicité de l'armée israélienne et de ses chefs, à commencer par Ariel Sharon. Il n'y a sans doute pas eu d'ordre de tuer la population de la part des Israéliens et certains soldats ont tenté d'empêcher le massacre, mais l'armée israélienne ne pouvait ignorer ce qui allait se passer en autorisant les phalangistes à pénétrer dans les camps. Elle est donc au mieux complice passive. A la tombée de la nuit, comme cela est évoqué par Ari Folman dans le film, Tsahal éclaire les camps avec des fusées. L'émotion est très vive en Israël lorsque les médias informent l'opinion mondiale. L'une des plus grandes manifestations de l'histoire du pays a lieu en signe de protestation. Une commission d'enquête sur les faits, dirigée par Ytzhak Kahane, président de la Cour Suprême, est mise en place. En février 1983, elle établit la responsabilité directe des phalanges chrétiennes et la responsabilité indirecte du ministre de la défense.
Précisons pour terminer que, si l'armée israélienne n'a pas participé directement au massacre de civils palestiniens à Sabra et Chatila, de nombreux civils ont été tués par les militaires israéliens lors des assauts et des bombardements sur Tyr, Saïda et Damour.



Plongeons donc dans le subconscient d'Ari Folman avec ce film remarquable...


Quelques liens :


Eléments de bibliographie :

  • Samir Kassir, Histoire de Beyrouth, Fayard, 2003 (un très beau livre par un historien récemment assassiné)
  • Charles Enderlin, Paix ou guerres, 2004 (pour comprendre les dessous de l'intervention israélienne)
  • François Massoulié, Les conflits du Proche-Orient, Casterman-Giunti, 1994 (une synthèse claire pour une première approche)
  • Irit Gal et Ilana Hammerman, De Beyrouth à Jénine. Témoignages de soldats israéliens sur la guerre du Liban, La Fabrique, 2003. Une journaliste et une écrivain israéliennes font parler les vétérans de l'intervention israélienne de 1982.
  • Yussef Bazzi, Yasser Arafat m'a regardé et m'a souri, Verticales, 2007. Yussef Bazzi a été enfant-soldat au Liban au début des années 1980. Il raconte cette période de sa vie dans ce magnifique petit livre dont je vous avais parlé. Il est aujourd'hui un poète reconnu dans le monde arabe. Comme le dit son traducteur : «Gardons-nous de juger les hommes. Attendons de voir s’ils deviennent poètes.»

Aucun commentaire: